Parfois, il suffit d'un rien pour que les
Parfois, il suffit d'un rien pour que les souvenirs remontent. Un bruit, une odeur, un visage. Aujourd'hui c'est un visage, un visage croisé dans la rue en allant bosser ce matin. Un visage qui transforme une journée banale, en journée de merde. Ce visage, ce n'était pas le sien, c'était celui d'un vieux monsieur sûrement très gentil, mais à moi il m'a fait peur. Moi ce matin quand je l'ai vu, j'ai serré très fort la main de la petite, si fort qu'elle a fini par râler. Et cet homme, qui ne m'a même pas regardée, moi je ne l'ai pas quitté des yeux du trajet, le coeur battant la chamade. J'avais peur, pour moi, pour elle, et je m'en veux. Ce n'était pas lui. Lui, il est peut être mort à l'heure actuelle, lui, c'était il y a 20 ans, 20 ans dans quelques jours... drôle de hasard...
Ecouter le babillage de l'enfant, ne rien laisser paraître, c'est trop idiot... Oui chérie, je suis sûre que c'est le chat qui a fait ton bib ce matin, oui chérie, je vais t'acheter une voiture, oui chérie, oui chérie, oui chérie.... non chérie, maman n'est pas vraiment là.... maman réfléchie... Maman pense, un jour elle était comme toi, toute petite, toute gaie, la vie était simple. Quelqu'un s'est chargé de lui montrer que non, rien n'est jamais simple.
Laisser l'enfant à sa tante, en sécurité, pour pouvoir partir bosser. Musique à fond, Marylin Manson, regard sombre, le premier qui me parle je le baffe, besoin de réfléchir, de ne pas arriver au boulot dans cet état. Je sais très bien que ce n'était pas lui, mes souvenirs sont beaucoup trop vagues pour vraiment y discerner un visage, et personne ne peut passer 20 ans sans vieillir. Mais j'avais pas envie de penser à çà ce matin, d'ailleurs j'ai jamais envie d'y penser. Si j'ai oublié c'est pas pour rien. Oublier à nouveau, arrêter de vouloir comprendre, de vouloir être normale, je l'ai souhaité pendant longtemps.
Mais j'ai compris, oui, çà m'est arrivé, j'avais 11 ans, je ne me souviens pas de grand chose, je sais juste que c'était mal, j'ai pas osé dire non, mais c'est aussi ce qui a fait de moi ce que je suis aujourd'hui. Une adulte, avec ses plaies, qui a construit sa vie malgré tout, qui a réussi à être heureuse. Nos souvenirs nous façonnent, les bons c'est facile, on les aime bien, ils nous rassurent. Les mauvais, il faut les affronter, les assumer, il faut se battre pour ne pas les laisser nous dévorer. Moi j'ai de la chance, des mauvais j'en ai pas tant que çà.
Aujourd'hui, ma soumission, je la choisis, je choisis à qui je me soumet. C'est sans doute lié, ce désir de jouer à la poupée et ce vieux trauma, mais ma revanche, c'est d'avoir le choix. Peut être, s'il y a 20 ans, il ne s'était rien passé, peut être ma vie sexuelle serait plus "classique", mais quand je suis attachée, baillonnée, les yeux fermés, quand je n'ai plus le choix, quand je dois dire oui, c'est MON choix, personne, pas même l'Homme, ne peut plus m'obliger à faire quoi que ce soit. Alors au final, de tout çà, il en est sorti quelque chose de bien, j'ai découvert un univers que j'aime. La violence à présent, elle est dosée, et quand le jeu se termine, tout s'arrête avec lui. J'aime ce que je suis devenue, et si parfois, un visage, un bruit, un trois fois rien me ramène en arrière, c'est pas si grave en fait, c'est une partie de moi comme une autre. Mais ce soir l'Homme, il va falloir me changer les idées, me refaire oublier tout çà, ce soir, il va falloir donner de Ta personne... Moi je dis çà... je dis rien.!